Comment les parfums ont-ils évolué à travers le temps ?

Béatrice Thivend | à 10h36

Comment les parfums ont-ils évolué à travers le temps ?

Il y a les parfums qui décèlent les souvenirs, les odeurs qui façonnent les lendemains ou les essences qui captent le mood de leur époque… Quoi qu’il en soit, au passé, au futur ou au plus-que-parfait, le parfum connaît lu aussi ses modes et sa conjugaison. Alors, ça sent quoi l'air du temps exactement ?

En préparant ce sujet sur les grandes tendances parfums de l'année, on s'est toutes demandé : mais au fait, ça sent quoi l’air du temps ? À l’instar de celui de Nina Ricci, composé en 1948 dans l’atmosphère joyeuse, optimiste et légère de l’après-guerre, le nôtre semble aujourd’hui n’aspirer qu’à un regain de désinvolture et de frivolité… N’est-ce pas d’ailleurs le bien-nommé La Vie est Belle de Lancôme - parfum iconique du bonheur au packaging souriant incarné depuis son lancement par l'actrice Julia Roberts - qui occupe la première place au classement des parfums préférés des françaises ; et ce, depuis 10 années consécutives ?

Dans ce contexte mondial particulièrement chahuté, aurions-nous donc à ce point envie -et besoin- de légèreté ? Oui. Et c’est d’autant plus vrai depuis la pandémie ; cette parenthèse atemporelle pendant laquelle l’odorat s’est volatilisé… « Cet évanouissement de l’un de nos sens primaires a véritablement été vécu comme une prise de conscience » note Elisabeth de Feydeau, docteur en Histoire et experte du parfum. En réaction, celui-ci est progressivement réinvesti et retrouve ses lettres de noblesse, aiguisé par des notes qui ambitionnent de plus en plus à nous relier les uns aux autres ; comme un point de rencontre entre terre et ciel…

Stylisme Dominique Evêque.
© Fabrice BouquetStylisme Dominique Evêque.

Tendances parfums : des fragrances sur terre et dans les airs

Gouvernée par la pluralité des tendances, notre société en conserve cependant une de fond : l’oud (de l’arabe « al-oud » qui signifie bois), au caractère séduisant et raffiné. « Moins directe et moins premier degré qu’il y a une quinzaine d’années, cette noble pourriture s’exprime désormais plus en demi-teinte et dans la subtilité » constate celle qui signe le Dictionnaire amoureux du parfum (Éditions Plon). Matière première à sensations fortes, aux nuances profondes et facettées, cette marotte des nez aiguisés (Oud d’Olibanum, Hyper Oud de Courrèges, collection Oudgasm de Kayali, Pur Oud de Louis Vuitton, Hermessence Oud Alezan d’Hermès, etc.) draine dans son sillage un parfum de divin. «C’est le symbole de la royauté, de l’occulte, du sublime. Son odeur fonctionne à merveille à une époque où l’on se rattache au mystique et, par le biais de la méditation et du silence notamment, on tente d’approcher une dimension sacrée. En odeur de sainteté, le bois de oud, ce trésor de la nature en percute d’autres. Celles du terroir, avec la découverte des notes surprenantes et décalées qui cultivent notre goût pour les cultures du potager (basilic, feuille de tomate, betterave, cresson, etc.) et celles du verger (reniflée chez Jean-Paul Gaultier : la figue noire de Scandal Absolu) ou invitent à musarder en forêt, entre les cèdres (Il était un Bois de l’Artisan Parfumeur), les tilleuls ou les genêts (Tilia de Marc-Antoine Barrois).

L’appétence palpable pour les fragrances plus vraies que nature, aux ingrédients qui -dans l’idéal- s’engagent en faveur d’un avenir plus durable (comme la vanille et la tubéreuse de My Way Nectar) heurte de plein fouet notre attrait pour le céleste. Le 19e opus des Exclusifs de Chanel, Comète, fait ainsi écho à besoin très actuel de sentir s’aligner les planètes. « Ce petit nouveau met la tête dans les étoiles. Son accord poudré, très pur, est parfaitement en lien avec notre désir d’une parfumerie très onirique et particulièrement sensuelle » observe Elisabeth de Feydeau. Ce souffle pur et cristallin se retrouve également dans le nouveau sillage ciselé par Frédéric Malle pour Acne Studios. Sollicitée sous le flacon ? Une surdose d’aldéhydes, ces molécules de synthèse à l’odeur métallique si caractéristique qui convient la pureté, signent les parfums de peau et y impriment un magnétisme insaisissable. « Comme un reset, une remise à zéro ». Et n’a-t-on pas justement envie, aujourd’hui, de se placer sous de meilleurs auspices pour réinitialiser ses données ?

Stylisme Dominique Evêque
© Fabrice BouquetStylisme Dominique Evêque

Tendances parfums : comment recomposer habilement le passé ?

À rebours d’une époque où tout semble aller de plus en plus vite, la parfumerie invite à appuyer sur pause et s’amuse à saisir les moments clés, les instants privilégiés, les heures suspendues… L'Heure, avec un H Majuscule, elle est Bleue chez Guerlain, Vertueuse chez Cartier, d’Absence chez Louis Vuitton, Exquise pour Goutal et scande la journée des hommes du côté de Pour un Homme Le Matin de Caron. Autant de partitions qui tentent de donner corps à l’invisible ; à ces minutes fugaces, présentes mais déjà passés à peine interceptées. « Capturer l’essence de la fleur ou de la matière pour la mettre en flacon, c’est d’ailleurs le propre de la parfumerie. On cherche à figer l’instant » analyse la spécialiste du parfum. « Et c’est d’autant plus vrai que l’on sait maintenant, comme la pandémie en a témoigné, que tout peut s’arrêter du jour au lendemain. La jeune génération est particulièrement sensible à cet aspect éphémère des choses ». Symboles de cette furtivité que l’on cherche à capter ? L’engouement pour les fleurs intermittentes dans le spectacle de leur floraison : la rose Centifolia de Grasse bien sûr, mais aussi le mimosa (Mimosa Supercritique chez Les Eaux Primordiales, Flower Ikebana Mimosa de Kenzo Parfums).

Images, impressions, émotions : ces moments qui font autant écho à l’inconscient collectif qu’à notre histoire personnelle, c’est précisément le story-telling sur lequel s’appuie la collection Replica de Maison Margiela, dont le dernier opus Under The Stars « évoque le souvenir d’une nuit intime en Namibie. Un moment unique, partagé avec soi-même ou des êtres chers, autour d’un feu de camp sous les étoiles ». La précision reliée à l’émotion, voilà incontestablement le principe de la Madeleine ; de ce bon dans le passé qui fait surgir un moment défini ou la nostalgie d’une personne. « À ce propos, on se souvient de Missing Person de Phlur ; ce phénomène des réseaux sociaux, sold out en quelques heures qui, parce qu’il se « sentait » capable de reproduire l’odeur familière d’un être cher, déclenchait les pleurs » témoigne Chloé Arjona Directrice du pôle Beauté chez Nelly Rodi. « Le principe est d’ailleurs un peu similaire avec You de Glossier dont l’odeur réconfortante, très musquée, s’approprie facilement ».

© François Pomepui

Tendances parfums : comment remonter le temps en voyageant ?

Loin de prendre la poussière, les parfums cultes d’une autre époque continuent d’attirer à eux de nouveaux consommateurs. Logique, dans des temps incertains où l’on cherche non seulement la sécurité, mais aussi à se réassurer. Souvent, la jeune génération découvre ces trésors par le biais des flankers : ces réinterprétations d’une eau d’origine, piquées d’un twist de modernité. « Dans un marché ultra compétitif, il est tout à fait logique de retrouver ces foules de déclinaisons. Le dépôt du nom, la conception du flacon et la mise en place de l’égérie sont les paramètres les plus compliqués et onéreux à mettre en place. Ce qu’il y a de moins cher dans un parfum, en réalité c’est le jus. Voilà pourquoi il y a autant de variantes » développe Elisabeth de Feydeau.

En surfant sur le succès d’un best-seller, ces nouveaux lancements permettent de le faire vivre, de passer le plumeau sur son aura, ou d’étoffer le catalogue. Car si les lancements abondent, les démissions ne sont pas en reste. « La règlementation est très stricte en matière de conformité et de sécurité. Les jus doivent très souvent être reformulés, sans être défigurés. C’est un exercice d’équilibrisme, périlleux et délicat qui peut se traduire par un abandon ». Rares sont donc les pyramides olfactives qui peuvent se permettre de rester fidèles à leurs origines. Celles qui traversent le temps, jusqu’à devenir légendes, « endossent le costume de mythe parce qu’elles convoquent des matières premières de qualité mais aussi parce qu’elles sont très entretenues » souligne l’historienne. Le N°5, avec son tourbillon d’égéries, son repack rouge en édition limitée, ses revisites (N°5 L’Eau ou L’Eau Première) ou sa factory pour le 100e anniversaire n’en est-il pas la meilleure preuve ?

Tendances parfums : comment imaginer la parfumerie de demain ?

Éloignée à première vue de toute notion de rationalité, la parfumerie va devoir, pour s’adapter aux nouvelles demandes et générations, faire fi de son caractère instictif... « Désormais, on lui demande de gagner en fonctionnalité avec des bénéfices émotionnels et cognitifs » révèle la tendanceuse. Déstresser, réénergiser, apaiser, relaxer… « Les avancées en neurosciences permettent dorénavant de mesurer l’effet du parfum sur l’activité cérébrale ». Til par exemple a misé dessus pour tester l’impact émotionnel de son Eau qui enlace, avec des mesures scientifiques en 3 dimensions (comportementale, physiologique et subjective). Idem chez The Nue Co (Forest Lungs n’a-t-il pas été conçu pour réduire le stress et l'anxiété au quotidien ?), chez Beauty Garden (le dernier-né solide, Lâcher Prise, invite dans ses notes de tête linalol et limonène, des molécules aux effets relaxants), ou chez Charlotte Tilbury qui vient de mettre au point 6 nouvelles fragrances infusées de « molécules d’émotions » pour diffuser -en vrac- amour, énergie, sérénité, séduction, pouvoir et bonheur.

Les bienfaits de nouvelles sensations OK, mais quid du concret ? Dorénavant, la parfumerie commence à flirter avec la catégorie du skincare. Chez Velvetvelo, les dernières compositions (comme Rue de Mimosas) intègrent par exemple une microémulsion transparente, Aquafine™, respectueuse du microbiote de la peau. Et les progrès ne vont pas s’arrêter là… « En planchant sur des formules aux propriétés hydratantes, anti-âge, et même prochainement équipées de filtres solaires, les labos ouvrent le champ des possibles pour les jus de demain »

Et l’IA dans tout ça ? « Hier utilisée pour fine-tuner une composition et en peaufiner les derniers détails, l’intelligence artificielle va désormais être sollicitée dès les prémices de la création. Elle sera par exemple utilisée pour suggérer des associations d’ingrédients… Avec des résultats plus ou moins improbables certes, mais en tous cas sans a priori et éloignés des préjugés que, par son expérience ou ses goûts, le parfumeur peut avoir » continue Chloé Arjona. La principale difficulté, là encore, sera de faire le tri et les bons choix parmi toutes les propositions suggérées et offertes. C’est sans doute là que l’analyse et le recul, drivés par la culture, permettront une exploitation judicieuse de la machine…

Texte Gabrielle Stérin-Lafarge.

Crédits photos : Patrick Swric et Fabrice Bouquet

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